"Le ring de Katharsy" : une allégorie de la société ?

     Imaginez… des tables, des chaises, des fauteuils qui se décrochent du plafond et se fixent au sol dans un bruit sourd : menaçant.

     Imaginez… des personnages désarticulés, maculés de gris, qui évoluent sur le plateau à la manière d’avatars de jeu vidéo : inquiétant.

   Imaginez… quatre matchs féroces qui deviennent le prétexte d’une surenchère de manipulation et de compétition, brouillant jusqu’à l’extrême les frontières entre l’humain et le pantin : angoissant !

   Imaginez… une silhouette féminine qui domine le jeu et en tire les ficelles tout le long dans l’ombre de l’arrière scène, à la façon du « Big Brother vous regarde » dans 1984, le roman culte de George Orwell : terrifiant !!

     « Le Ring de Katharsy ». C’est avec ce titre en tête, mystérieux et quelque peu abstrait, que les élèves de l’option Théâtre du lycée Jean Monnet entrent dans la salle de spectacle du CDNT, le vendredi 28 février au soir. Ils sont loin d’imaginer, bien sûr, tous les éléments décrits plus haut.

     En effet, Le Ring de Katharsy est une pièce qui surprend : d’abord par l’originalité de sa mise en scène ; ensuite, par l’atmosphère oppressante qu’elle parvient à mettre en place ; enfin, par son message politique et sociétal osé. De la prédominance des jeux vidéo au déversement de la violence, en passant par la dénonciation de notre consommation accrue (Black Friday, click and collect…) et notre manipulation à grande échelle, cette représentation dresse avec brio une allégorie de la décadence de notre société actuelle. 

    Déshumanisation, rébellion, perte de contrôle de soi font rage au sein d’un ring tracé à même le sol.

     Sur ce plateau, tout devient froid et artificiel : la musique, les couleurs, les mouvements, la disposition symétrique du décor. Sur ce plateau, tout s’entremêle : les certitudes s’évanouissent, les camps rivaux se brouillent jusqu’à se confondre, les avatars semblent bientôt plus humains que leurs gamers…Sur ce plateau, où se rencontrent avec virtuosité théâtre, cirque et chorégraphies cadencées, la révolte paraît inévitable. 

     Et que signifie cette explosion de couleur à la fin ? Effectivement, un drap violet recouvre la scène comme un raz de marée, reprenant ses droits, tranchant avec la monochromie de l’espace… Cela symbolise-t-il l’éclatement de la créativité, de l’imagination et de la culture – trois valeurs associées à cette teinte ? La pensée qui s’échappe, le rêve qui se perd, le merveilleux qui se dilue dans l’univers illusoire des jeux vidéo, sont-ils la dénonciation ultime de cette pièce ?

     Le violet est aussi associé dans de nombreuses cultures au deuil… Ce spectacle nous contraint-il à faire le deuil de notre humanité ?

     Vous l’aurez compris, cette pièce fait naître en nous plus de questions que de réponses. Mais ce que l'on retient, c'est la richesse théâtrale du spectacle. On peut dès lors estimer que ce dernier est cathartique, destiné à nous purifier, tel un exemple à ne pas reproduire…

   Plus que tout autre spectacle auquel j’ai pu assister, celui-là nous bouscule véritablement, nous remet en question et interroge notre esprit critique. Il dénonce les travers de notre société avec une telle virulence qu’il est impossible d’y rester insensible. Cette pièce, ce n’est pas une claque : c’est un coup de poing dans l’estomac… Nul doute qu’elle nous hantera durant des jours !

   « Le Ring de Katharsy » … C’est avec ce titre en tête, éloquent et bouleversant, que les élèves de l’option Théâtre du lycée Jean Monnet ressortent du CDNT.

LE RING DE KATHARSY |

Le Ring de Katharsy Création 2024 Le Théâtre National Populaire - CDN Villeurbanne Avec : Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias ...

https://www.sappellereviens.com/spectacles/le-ring-de-katharsy/

Comments

[Nathalie Barat]

Une plume toujours aussi engagée pour nous faire regretter d'avoir manqué cette pièce. Une critique très pertinente, voire inspirée, qui témoigne d’une compréhension sensible de l’œuvre. On se laisse gagner par la ferveur de l'auteure à délivrer sa lecture de la pièce ! Merci Léane !